Quand Innocent VI transforme son palais cardinalice en chartreuse, il veut offrir aux chartreux un lieu somptueux. Il fait peindre dans la petite chapelle prolongeant le tinel une vie de saint, le précurseur, celui qui a vécu au désert : Saint Jean-Baptiste.
On s'accorde à attribuer la peinture à Matteo Giovannetti. Une quittance des comptes pontificaux pour l'année 1355 fait état de travaux de peinture "au palais de Villeneuve" réalisés par Matheus pictor. Il s'agit de Matteo da Viterbo, dit Giovannetti, prêtre et peintre.
Dès 1346, Matteo Giovannetti avait mis son talent au service du pape Clément VI en couvrant de fresques le palais d'Avignon. Innocent VI l'emploie à son tour et le maître réalise aussi cette œuvre remarquable au "palais de Villeneuve" en 1355.
Les boîtes scéniques dans lesquelles se déroulent les différentes séquences du récit forment une espèce de décor d'architecture unifiée, en trompe-l'œil, qui se développe sur le pourtour de la chapelle et laisse voir en parties hautes et sur la voûte un magnifique ciel bleu nuit et vert émeraude traversé de stratus roses et peuplé d'anges, hélas presque entièrement effacé aujourd'hui. Le peintre veut donner l'illusion d'une véritable architecture et d'un véritable ciel.
Matteo Giovannetti a largement anticipé les expériences de peinture perspectiviste du siècle suivant. Il développe également un véritable art de conteur, volontiers anecdotique et narratif dans la peinture des scènes, n'hésitant pas à rajouter des détails familiers et à traiter de façon ludique la manière dont il produit l'illusion.
Quelques séquences :
Le pape en prière devant la Madone. Le visage du pape est malheureusement effacé. Il faut noter le balcon en trompe-l'œil sur lequel le pontife est agenouillé.
La Décollation de Jean. La scène est peinte dans la fausse fenêtre du mur ouest. L'ébrasement de cette dernière est traité comme un sol carrelé vu en perspective.
La Visitation : par une porte entrebâillée à gauche une servante assiste à la rencontre de la Vierge et de Sainte Elisabeth. L'embrasure de la fenêtre est intégrée à la perspective de la scène peinte.
La Nativité de Jean : la Vierge devise avec la sage-femme tandis qu'une servante apporte de la nourriture à la parturiente. Bel exemple du ton narratif et familier de Giovannetti.
Il faut imaginer que ce décor peint s'étendait initialement aussi au tinel, constituant alors avec la chapelle l'un des plus fastueux espaces peints du Moyen-Âge. Au tinel, il ne reste malheureusement que les embrasures peintes de quelques fenêtres. Les appartements pontificaux, vraissemblablement situés dans le prolongement de la chapelle, ont sans doute également fait l'objet de commandes au peintre.
L'UMR MAP (laboratoire du CNRS) a entrepris une campagne de numérisation et de rendu 3D de la Chartreuse, et notamment de la Chapelle des fresques. Vous pouvez visionner ici le travail accompli et l'application réalisée (délai de téléchargement d'environ 1 mn). Ce riche travail de recherche est présenté dans la chapelle des morts sur des écrans tactiles.