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Mutations 2011

Franck Bauchard
Si l’expérimentation qui caractérise les sondes relève de « l’observation provoquée »,
selon la belle expression d’Émile Zola, elle doit mettre en jeu un certain nombre d’hypothèses
qui seront vérifiées ou non.
 
L’hypothèse que nous posons depuis quelques années est que le numérique est un enjeu
central pour le théâtre dans la mesure où il contribue à transformer nos technologies
intellectuelles. Il touche à l’écriture, à la mémoire et même semble-t-il à nos modes de pensée, comme des débats récents le suggèrent. Il peut être éclairant, pour qui veut prendre la mesure des mutations en cours, de comparer comment le théâtre s’immerge aujourd’hui dans l’environnement numérique – de la régie à la communication, de la scénographie à la constitution de sa mémoire - à la manière dont autrefois il s’est modelé sur l’environnement produit par l’imprimé. On peut légitimement se demander si l’essor du numérique ne questionne pas une à une les articulations qui relient la pratique théâtrale à la culture de l’imprimé.
 
Dans cette perspective, qui met en relief un rapport constitutif et structurant entre les supports de l’écriture et l’histoire de la pratique théâtrale, le théâtre de texte apparaît d’abord comme un théâtre du livre faisant jouer un certain nombre d’articulations entre la page et la scène.
Les nouveaux supports de l’écrit donnent naissance à d’autre manière d’écrire et de composer le théâtre pour en faire en quelque sorte une métaphore de l’ordinateur et non plus une métaphore du livre. Des fenêtres qui s’ouvrent simultanément plutôt que des pages qui successivement se tournent, voilà ce que suggère souvent au spectateur la scène actuelle.
 
Un certain nombre de propositions théâtrales d’aujourd’hui semblent susciter des formes de lecture caractéristiques des nouveaux supports. Une évolution qui appelle une implication nouvelle des auteurs dans le processus de création comme nous le constatons souvent à la Chartreuse à travers les résidences et les sondes.
Le théâtre s’inscrit de manière implicite ou explicite dans une écologie des technologies et des médias qui donne naissance à une mutation de ses techniques, de ses formes et de ses conventions. Au spectateur comme figure déplacée du lecteur s’ajoute le spectateur comme figure déplacée du téléspectateur, du cinéphile, de l’internaute, du lecteur hypertextuel, ou encore du joueur de jeux vidéo. Le Bardo présenté l’été dernier à la Chartreuse par Joris Mathieu propose au spectateur de découvrir l’univers littéraire d’Antoine Volodine à travers un labyrinthe dans lequel il évolue à la façon d’un joueur qui progresse dans l’univers d’un jeu vidéo. Au même moment, Jean Lambert-wild avec La Mort d’Adam proposait dans le tinel un espace théâtral feuilleté et complexe imbriquant scène et écran, espace
simultané de l’ordinateur et magie de l’illusion théâtrale.
Les technologies numériques nous incitent ainsi à réactualiser les perceptions, les normes et les valeurs à travers lesquelles nous appréhendons le théâtre et questionnent en ce sens notre idée même du théâtre.
 
Les sondes « mutations 2011 » ne peuvent se faire sans un échange avec la génération née avec l’internet. C’est pourquoi la Chartreuse associera directement aux temps d’expérimentations, des étudiants en art dramatique, en lettres et en arts visuels, des lycéens et même des collégiens.
Nous souhaitons à travers les sondes faire avancer des débats permettant de réaffirmer la place du théâtre dans une société en pleine mutation. L’observation révèle, l’expérience vivifie nos perceptions et interrogations. Nous vous invitons à venir nombreux à ces moments de saisie collective et partagée des mutations théâtrales en cours.
 
 
Franck Bauchard
Directeur artistique