par Beatrix von Conta
Des ouvertures.
Fenêtres, portes, voûtes, passages - fermés, ouverts, encadrés, murés, écroulés, restaurés. Visiblement l’image que je m’étais faite d’un lieu hors du temps aux murs austères et aux secrets silencieux, ne coïncide pas avec la réalité contemporaine de la Chartreuse du Val de Bénédiction. Loin d’être murée dans son histoire, elle y a laissé pénétrer la vie d’aujourd’hui, et, en retour, s’en trouve changée. Monument historique étonnamment moderne, il impose grâce aux activités foisonnantes et créatrices du Centre National des Écritures du Spectacle, un regard nouveau, invite à parcourir son labyrinthe comme on pourrait parcourir les lignes d’un texte pourtant familier à la recherche d’un sens caché. C’est un lieu habité. Le corps y circule, le regard rebondit.
Des portraits à double entrée ?
Il faut commencer par dégager ce qui a déjà pris forme dans l’esprit. Laisser les images s’inscrire dans le cadre, sans préméditation et sans censure. Courir le risque du détour. Chercher dans le noir. Attendre. Mettre du sens. Mais, à l’instar du sculpteur en prise avec la résistance et la particularité du matériau, rester au plus près, impérativement. Ce choix de « coller » à la matière s’est imposé à moi en voyant la lumière rasante du matin révéler et mettre en évidence la surface des pierres auxquelles l’angle du regard fait perdre l’échelle, leur conférant un aspect de sol lunaire, crevassé, où le regard subitement plonge dans des ravins tracés par l’ombre et qui se révèlent signatures. Ces marques gravées dans la pierre par les tailleurs de pierres ramènent à la présence humaine. Il est encore question d’écriture, jusque dans la pierre. Cette mise en abstraction par la lumière retire au corps du minéral son volume et donne envie d’effleurer ces surfaces afin que du geste seul naisse une réalité compréhensible. Cette forme de braille serait-elle la clé fournie aux voyants, l’indispensable sésame pour accéder à une vue intime, les paupières closes ? Le regard au bout des doigts?
Je découvre la Chartreuse sous l’angle d’un répertoire infini de pièces imaginaires que mon œil, le temps d’un regard, va prélever dans son décor de pierre. Pièces de registres différents où la couleur va déterminer le rôle du fragment, du détail ; elle fera son apparition selon le scénario que lui proposera l’image. Du théâtre in situ.
L’empreinte. Signature que seule la lumière révèle selon les heures de la journée.
Un lieu fait main. Les images s’articulent, le projet prend forme.
Les photographies taillées dans la pierre feront face à celles tracées par le corps, d’un fragment du corps, toujours le même, le bout des doigts. Les doigts de ceux qui dans ce lieu voudraient bien s’ancrer dans l’image. Empreintes légères et fragiles, reconnaissables et universelles, elles résument en lignes et en aplats l’être tout entier. Dans ces amphithéâtres imaginaires que l’encre noire dépose sur le papier blanc, des micropaysages aux lignes circulaires sont traversés par les accidents de la vie. Champs d’écriture infiniment discrets et d’une étrange beauté que chacun de nous imprime à la surface du monde.
La Chartreuse a acheté cinq de ces images.