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L'église conventuelle

  • L'Église © Alex Nollet/La Chartreuse
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L'église Saint-Jean-Baptiste puis Sainte-Marie fut édifiée par le pape Innocent VI pour les offices de chœur de la communauté. (voir La Chartreuse avant 1353)
 
Son état actuel est assez éloigné de celui de 1356-1362. L'espace primitif était beaucoup plus réduit, puisqu'il n'y avait que trois travées et suffisait aux douze pères de la première fondation et au chœur des frères.
 
Le bâtiment se distinguait par sa très grande sobriété conforme à l'Ordre des chartreux et à sa volonté d'austérité. Ce dépouillement est aussi celui de l'architecture gothique méridionale au moment même où le Palais des papes d'Avignon devient somptueux. Alors que le gothique septentrional privilégie les piliers et les vitraux pour laisser entrer la lumière, le gothique méridional se caractérise par des murs pleins, la ligne pure des voûtes, le contrôle de la lumière, des contreforts massifs. La sobriété de l’architecture renvoie à la méditation vers le for intérieur. Le lien à Dieu relève de l'intime.
 
Le pape, deux ans avant sa mort, fait agrandir l'église en accolant au chœur la chapelle de la Sainte-Trinité, dans le but de s'y faire inhumer et d'y placer son tombeau. Cela fait partie des nombreux privilèges et particularités de la chartreuse de Villeneuve lez Avignon d'accueillir la sépulture d'un pape. Alors que les pères et les frères chartreux étaient enterrés à même la terre, sur un tertre, avec pour seule marque une croix de bois sans aucune inscription, le faste qu'impliquait la sépulture d'un pape contrastait avec cette sobriété et dérogeait à la règle qui prohibait l'inhumation de toute personne extérieure à l'Ordre. Plus tard, l'église accueillera d'autres sépultures d'imminents personnages, dont les neveux du pape ou encore le Prince de Conti.
 
À la mort du pape, ses neveux veillent à la continuité de l'œuvre. Pierre Selva de Monteruc double l'effectif d'origine de la communauté. Cela nécessite entre autres de construire une travée supplémentaire et un mur de séparation dans l'église pour délimiter le chœur des pères de celui des frères. 
 
Au cours des siècles, l'église deviendra un véritable écrin, témoin de la puissance et richesse des chartreux et de leur goût pour l'art.
Au XVIIe siècle, une magnifique porte sculptée, réalisée d'après un dessin de François de Royers de la Valfenière marque son entrée et fait partie des travaux d'embellissement alors réalisés, comme le portail de clôture du monastère dessiné par le même architecte. Le symbole de l'Ordre - un cercle surmonté d'une croix - figure sur la porte dans un cartouche. La porte, telle qu'on la voit aujourd'hui est une reproduction. L'originale est exposée au musée Pierre-de-Luxembourg. 
Au XVIIe et XVIIIe siècles, la chartreuse est à l'apogée de sa puissance. Elle est devenue la plus riche chartreuse du royaume.
Les temps ont changé. L'iconographie intransigeante a cédé la place à une conception de l'image stimulant la prière et la contemplation intérieures. Le Couronnement de la Vierge - chef d'œuvre désormais incontournable de l'histoire de l'art - commandé en 1453 à Enguerrand Quarton, témoignait déjà de cette évolution. Le concile de Trente renforcera la tendance. Il faut alors imaginer l'église colorée, resplendissant de dorures, revêtue de lambris, de retables de bois ou de marbre polychrome.* Elle est ornée des magnifiques tableaux commandés aux peintres les plus en vue du moment ou offerts en dons. Une partie de ces œuvres sont aujourd'hui au musée Pierre-de-Luxembourg. La visite du musée est donc un riche contrepoint à celle de la chartreuse. 
 
L'édifice éventré a aujourd'hui perdu son sanctuaire. La brèche date du XIXe siècle alors que le monastère, laissé à l'abandon après la Révolution, avait été investi par les villageois comme quartier de Villeneuve. C'est ainsi que le tombeau d'Innocent VI servit de clapier à lapins et que l'abside, transformée en grange s'est effondrée sous les charges que le paysan suspendait  à sa voûte. Les turpitudes de l'histoire de la chartreuse laisse paradoxalement l'ouverture éblouissante et étonnante de cette église sur le mont Andaon et le fort Saint-André. 
 
C'est au tombeau monumental d'Innocent VI, que la chartreuse doit son sauvetage. Quand Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments historiques, découvre la chartreuse en 1834, la splendeur de l'ensemble architectural est masquée par les multiples transformations apportées après la Révolution lorsque le monument est devenu un quartier de Villeneuve. En premier lieu, c'est la magnificence du tombeau qui apparaît à Mérimée.
 
(...) Je suis allé aujourd'hui à Villeneuve visiter le tombeau gothique d'Innocent VI. La chartreuse où il était renfermé a été vendue par parties, à l'époque de la Révolution, et le tombeau, compris dans un des lots, se voit aujourd'hui dans une masure appartenant à un pauvre vigneron. Des tonneaux, des troncs d'olivier, des échelles énormes sont entassés dans le petit réduit où se trouve le mausolée.
Je  ne comprends pas comment, en déplaçant toutes ces choses, on n'a pas déjà mis en pièces ces clochetons si fragiles, ces colonnettes et ces feuillages si légers et si élégants. Rien de plus svelte, de plus gracieux, de plus riche que ce dais de pierre. Autrefois un grand nombre de statues d'albâtre ornaient le soubassement ; elles ont été vendues une à une ; de plus, le propriétaire de la masure a défoncé ce soubassement pour s'en faire une armoire. La statue du pape a été fort mutilée ; enfin, Ii n’est sorte d’outrages qu’on n’ait fait subir à ce magnifique monument. Dégradé comme il est, il offre encore un des plus beaux exemples de l’ornementation gothique au XIVe siècle. (...)
 
Le tombeau, d'abord transporté à l'Hospice de Villeneuve, retrouvera sa place d'origine en 1959. C'est le plus complet des tombeaux de papes français parvenus jusqu'à nous. 
 
 
 
*L'UMR MAP de Marseille (laboratoire du CNRS) a entrepris une campagne de numérisation et de rendu 3D de la Chartreuse, notamment de l'église et de son mobilier et des peintures qui y étaient exposées. Le public peut désormais voyager dans le temps et visualiser le décor exceptionnel qu'offrait l'église grâce à la table tactile installée dans la chapelle Saint-Bruno.